28 de jun. de 2022

Poèmes de Charles Baudelaire

Charles Baudelaire est né le 9 avril 1821 dans un coin parisien qui sera un jour occupé par la librairie Hachette. Fils d'un père de soixante ans marié à une femme de 28 ans, le poète français est devenu orphelin dans son enfance. A l'âge de 7 ans, dans l'année qui suit la perte de son père, il gagne un beau-père avec qui il ne s'entend pas et est envoyé étudier dans un internat.

Dans les années scolaires, on le voit seul, adonné aux silences taciturnes et aux éclats cyniques. Les performances académiques sont élevées. S'inscrit à la faculté de droit, mais ne suit pas le cours. Au seuil de l'âge adulte, il mène une vie dissipée, dont la famille tente de l'extraire en l'envoyant par bateau en Inde, où il n'arrive pas, revenant en France de l'île Bourbon, aujourd'hui La Réunion.

En 1842, l'âge de la majorité lui fait recevoir l'héritage que lui a légué son père. Il vit dans le luxe, s'habille avec raffinement, mène un niveau de vie qui ne consomme que la moitié de ce dont il a hérité. Pour l'empêcher de dilapider son gagne-pain, sa mère lui impose, via le Conseil de la magistrature, un modeste revenu mensuel pour vivre désormais.

Baudelaire noue une relation avec l'Afro-descendante Jeanne Duval, qui lui a inspiré certains de ses plus beaux poèmes. Il s'immisce dans les milieux littéraires, collabore avec la petite presse. Les essais Salon de 1845 et Peinture moderne lui donnent son nom de critique d'art.

En outre, il traduit des œuvres d'Edgar Allan Poe ; il chemine en compagnie de Théophile Gautier, défenseur de « l'art pour l'art » ; il fréquente le salon de Mme Sabatier, pour qui il a une passion mystique ; publie des poèmes dans des revues prestigieuses.

En 1853, son beau-père est élu sénateur. Chez Baudelaire, au contraire, la déchéance physique et financière s'accentue. Il vit dans des endroits qu'il appelle des « trous », abuse de l'opium et du haschisch. En 1857, il publie l'ensemble de poèmes qui avaient mûri au fil des ans - Les Fleurs du Mal.

La justice condamne le livre pour immoralité, retire six poèmes de la première édition, sans en altérer le carat devant la communauté intellectuelle et artistique. Le frisson nouveau qu'il introduit dans la poésie française est attesté par des personnalités tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.

En 1864, le poète part pour la Belgique donner une série de conférences et y réside pendant deux ans. Miné par la syphilis, en 1866, il est amené aphasique et semi-paralysé à Paris, où il meurt le 31 août 1867. Les Fleurs do Mal deviennent, en Occident, le recueil de poèmes le plus influent des derniers siècles.

***

Remords posthume

Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,

Au fond d’un monument construit en marbre noir,

Et lorsque tu n’auras pour alcôve et manoir

Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse;


Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse

Et tes flancs qu’assouplit un charmant nonchaloir,

Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,

Et tes pieds de courir leur course aventureuse,


Le tombeau, confident de mon rêve infini

(Car le tombeau toujours comprendra le poète),

Durant ces grandes nuits d’où le somme est banni,


Te dira: “Que vous sert, courtisane imparfaite,

De n’avoir pas connu ce que pleurent les morts?”

— Et le ver rongera ta peau comme un remords.

***

Les hiboux

Sous les ifs noirs qui les abritent,

Les hiboux se tiennent rangés,

Ainsi que des dieux étrangers,

Dardant leur oeil rouge. Ils méditent.


Sans remuer ils se tiendront

Jusqu’à l’heure mélancolique

Où, poussant le soleil oblique,

Les ténèbres s’établiront.


Leur attitude au sage enseigne

Qu’il faut en ce monde qu’il craigne

Le tumulte et le mouvement;


L’homme ivre d’une ombre qui passe

Porte toujours le châtiment

D’avoir voulu changer de place.

***

Spleen

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans.

Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,

De vers, de billets doux, de procès, de romances,

Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances

Cache moins de secrets que mon triste cerveau.

C’est une pyramide, un immense caveau,

Qui contient plus de morts que la fosse commune.

— Je suis un cimetière abhorré de la lune,

Où, comme des remords se traînent de longs vers

Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers.

Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,

Où gît tout un fouillis de modes surannées,

Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,

Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché.


Rien n’égale en longueur les boiteuses journées

Quand sous les lourds flocons des neigeuses années

L’ennui, fruit de la morne incuriosité,

Prend les proportions de l’immortalité.

— Désormais tu n’es plus, ô matière vivante!

Qu’un granit entouré d’une vague épouvante,

Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux;

Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,

Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche

Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.

***

La destruction

Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon;

Il nage autour de moi comme un air impalpable;

Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon

Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.


Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,

La forme de la plus séduisante des femmes,

Et, sous de spécieux prétextes de cafard,

Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.


Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,

Haletant et brisé de fatigue, au milieu

Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,


Et jette dans mes yeux pleins de confusion

Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,

Et l’appareil sanglant de la Destruction!

***

Les plaintes d’un Icare

Les amants des prostituées

Sont heureux, dispos et repus;

Quant à moi, mes bras sont rompus

Pour avoir étreint des nuées.


C’est grâce aux astres nonpareils,

Qui tout au fond du ciel flamboient,

Que mes yeux consumés ne voient

Que des souvenirs de soleils.


En vain j’ai voulu de l’espace

Trouver la fin et le milieu;

Sous je ne sais quel oeil de feu

Je sens mon aile qui se casse;


Et brûlé par l’amour du beau,

Je n’aurai pas l’honneur sublime

De donner mon nom à l’abîme

Qui me servira de tombeau.


***


Bonne lecture


Blog de la maison du livre


Sidney Matias

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